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Lorsque, après y avoir passé dix ans seule, Mimi, dernière de la génération précédente à habiter la maison, eut sur son lit de mort retrouvé son visage d'adolescente avignonnaise, ses petits-enfants durent décider du sort de la Tartugo. Bernard, fils de Maurice et Marie-Thérèse, abandonna sa vie parisienne pour réinvestir les lieux avec son compagnon Didier. Traducteur, il put ce faire grâce à l'Internet, qui lui permit de s'éloigner des centres de la culture et des grandes bibliothèques. La première mesure fut de changer la toiture de la bâtisse principale ; la deuxième, de mettre l'électricité aux normes - en ôtant les baguettes de bois qui protégeaient des fils recouverts gainés de tissu, Bernard et Didier découvrirent en dessous des bandes de journaux découpés, datés de 1929. Et, en dessous encore, sur une largeur d'à peine deux centimètres mais sur toute la hauteur du mur, les restes de peintures du XIXe, qui ont permis de retrouver la hauteur d'origine des soubassements ainsi que les couleurs des murs aux premiers temps de la maison.
L'ancien bureau
Sous l'élégant papier peint années 1920 à rayures gris et fuchsia (à gauche) dormaient un autre papier rayé, dans les tons de gris (ci-dessus - frise -, et à droite), et un troisième, à motif de fleurs, dans les tons marron, brique, jaune et or (à droite).
La transformation de l'ancien bureau d'Édouard était obligatoire à cause de la dégradation de son papier peint, endommagé et rendu malsain par l'humidité due à la proximité de la cave. Contrairement à celui du boudoir, il ne put être sauvé. Ce problème d'humidité a d'abord conduit à opter pour un décor simple à base de peinture blanche à la chaux. Toutefois, la présence, au bas d'une cloison, d'un vestige de papier peint antérieur à la décoration d'Édouard a fait germer l'idée d'un décor encore sobre mais fondé sur le genre de soubassement présent dans toutes les pièces de la maison au XIXe, du temps de la bouchonnerie. L'idée du trompe-l'oeil faisant croire à une troisième porte est venue en imaginant la présence dans la maison d'une femme - un fantôme - à laquelle serait réservée une pièce dans laquelle, tel un enfant, on meurt d'envie d'entrer, mais qui nous demeure à jamais interdite. Les mânes de la Tartugo sont, qui sait, réunis là. La fausse porte donne l'illusion d'une profondeur absente dans la réalité. L'idée d'une autre dimension est accentuée par
l'emploi de vrais lambeaux des anciens papiers peints de la salle à manger, comme si on avait voulu les reconstituer ici. Un miroir ovale reflète un rideau éclairé par une lumière du jour filtrant d'une fenêtre, là où il ne pourrait y en avoir une. La fausse porte ouvre sur une fausse pièce dans laquelle on voit le reflet d'une fausse fenêtre percée dans l'autre côté inexistant du mur sur lequel est peint le trompe-l'oeil.
Les fresques de la salle à manger
La découverte des peintures murales de la salle à manger est le moment le plus marquant de l'histoire de la restauration de La Tartugo. Dans la première photographie ci-dessus à gauche (Jour de l'an 1970), on voit en fond la tapisserie jaune des années 60 en place jusqu'à 1995 ; il n'en reste que des lambeaux noircis dans la photographie de droite, prise après la découverte de la première fresque, sur le mur coté rue. Ci-dessus, à gauche, la seconde photographie, prise aujourd'hui avec le même cadrage que celle de 1970, montre la fresque dévoilée, insoupçonnée par les personnages de 1970 .
Qu'il est étrange de songer que pendant tant d'années des scènes d'un autre âge vivaient sous le palimpseste de papiers peints successifs : en effet, les quatre murs se révélèrent être couverts de peintures murales cachées sous sept couches de papiers peints témoignant de l'histoire de la décoration intérieure, depuis un modèle pré-industriel à délicats motifs bleu et or jusqu'au dernier, années 60, uni, devenu jaunâtre au fil du temps, comme a jauni à son tour la photo de 1970 elle-même sur laquelle on le voit, derrière les personnages.
Le papier le plus ancien datant manifestement du milieu du XIXe siècle, il est manifeste que les fresques ne restèrent pas longtemps visibles, vite remplacées par le papier peint, sans doute en raison d'un changement de goût dans le domaine de la décoration intérieure ou de destination de la pièce, qui devait être, du temps de la bouchonnerie, la pièce "d'apparat", où l'on devait recevoir les clients. Trois panneaux représentent très certainement les lacs italiens. Le peintre naïf serait donc un Piémontais qui aurait accompagné les journaliers qui, à l'époque, descendaient régulièrement du Piémont très pauvre pour louer leurs services en Provence lors des moissons et des vendanges. Côté sud, une quatrième scène qui recouvre la porte à deux battants de l'alcôve voisine, est d'inspiration orientaliste, Moyen-Orient ou Inde, étrange clin d'oeil à l'habitant actuel des lieux, le traducteur et indophile Bernard Turle. La mise au jour des peintures murales dura un an et se termina à la pince à épiler. Il fallut bien sûr faire un choix : montrer toutes les fresques dans leur entièreté et donc éliminer le palimpseste de papiers peints. La découverte et la disparition de ces derniers évoquent celles de fresques romaines par les personnages de Fellini Roma, qui ne les voient qu'un instant avant qu'elles ne se désagrègent l'instant d'après au contact de l'air du présent.
Les trompe-l'oeil
Une fois n'est pas coutume, le pan de papier peint (ci-contre) est un trompe-l'oeil. Le papier peint du vestibule, des années 1920, a bien résisté alors qu'il est situé dans un lieu de passage. Cependant, un pan sur un mur en angle coupé était arraché. Par chance, dans cette maison où l'on garde tout, on a trouvé, soixante-dix ans après que le papier eut été posé, un dernier rouleau du bandeau rouge et noir, assez pour remplacer la partie manquante. Restait à remplir le cartouche fleuri. Les bandes noires ont été peintes à la main, et des fleurs suffisamment semblables à celles du papier furent découpées dans une revue de luxe et collées à même le plâtre. Dans la pénombre du vestibule, la restauration passe totalement inaperçue.
Dans la chambre bleu et jaune, on a remplacé les parties endommagées
du papier peint années 1920 par des carreaux de Salernes et une frise
et des carreaux de Creil. La frise (ci-dessus) étant trop courte,
on a peint son prolongement directement sur le mur (à droite).
L'atelier
C'est l'espace de la maison le plus difficile à gérer à cause de son caractère ambigu de lieu de passage et de lieu de travail, à la fois intérieur et extérieur. En 1995, la toiture fuyait. Les finances n'ont permis de la refaire correctement : elle n'est pas toujours complètement étanche. Ce qui est symptomatique : l'atelier est le lieu du rafistolage. Il est un peu comme une tente et on a l'impression qu'il est constamment en restauration, voire en mouvement. Édouard ne s'y est pas intéressé, il en est totalement absent. Exceptionnellement, ce sont Eugène puis Maurice, à une génération de distance, qui s'y sont attelés et l'on a l'impression de n'arriver qu'à combler les trous, les interstices, sans parvenir à un vision d'ensemble aboutie. Mais c'est peut-être le propre d'un atelier (qui fut jadis hangar) : d'être, comme le Versailles de Louis XIV, toujours en devenir.
Le jardin clos et ses folies inspirées par l'Exposition Universelle de 1900
Après des années d'abandon, en 1994, lorsque Bernard et Didier réintégrèrent les lieux, le jardin clos et les folies ressemblaient à une jungle touffue ponctuée de bâtiments décatis. La restauration des folies pose des problèmes
structurels, comme la présence d'une charpente en métal ; celui-ci a fait éclater le béton. D'autres considérations techniques et financières limitent les interventions.
D'un point de vue esthétique, les peintures extérieures étaient
complètement délavées
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et seules les photographies d'époque des folies (comme des bâtiments de l'Exposition Universelle qui ont servi de modèles), pouvaient donner des indices. La replantation commença dès 1996. Des amis, comme Pierre (ci-dessus) et Olivier participèrent à ce travail qui a pris vingt ans.
En raison du coût de la menuiserie, on n'a pas refait les portes de l'ancien clapier, d'autant plus qu'il a perdu sa fonction. Comme le reste de la folie, elles étaient inspirées par le pavillon de l'Algérie de l'Exposition Universelle de 1900 mais aussi par un bâtiment qui abritait une "salle de projection", le Stéréorama mouvant.
(Ci-contre, à droite) Une porte à Marrakech
(Ci-dessus) Dans les archives d'Édouard, une photographie du Stéréorama, dans un album consacré à l'exposition, Le Panorama, était accompagné par des croquis détaillés, avec mesures précises, exécutés à l'intention des ouvriers qui réalisèrent les petits bâtiments dans les années 1930. (À droite, le clapier, sous la neige, avant restauration et picassietisation. On y voit deux anciennes portes en position)
Ci-contre Croquis d'Édouard pour le bâtiment miniature Clapier /Pavillon mauresque, avec indications de couleurs.
(Ci-contre) Le poulailler est le seul bâtiment destiné à des animaux qu'Édouard n'a pas transformé en folie. Bernard a poursuivi sa tâche. Si l'ensemble ressemblait au pavillon des Indes néerlandaises de l'Exposition Universelle de 1900, l'interprétation "indienne" est purement personnelle.,
Pour lancer la restauration du poulailler en temple indien, Bernard fit appel à sa complice
fresquite et indophile
Claudine Quersin (ci-contre), fondatrice des Ateliers de l'Orissa. En 2011, elle peignit les deux cellules. Bernard intervient ensuite en picassiette, suivant le décor de Claudine.
Le verger
Lorsque Bernard et Didier ont récupéré le verger, c'était une jungle. Il était à l'abandon depuis quinze ans. Vingt ans ont été nécessaires pour en faire ce qu'ils souhaitaient en faire, un espace à la limite entre le sauvage et le domestiqué, résolument méditerranéen et foisonnant. Il a fallu trouver un modus vivendi avec les chats qui en avaient fait leur royaume. Pour abattre un grand pin encombrant, ils ont fait appel aux frères de Didier, habitués au travail en forêt.
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